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consuelo.

— Si je l’ai fait, signora ! répondit Keller. Dire et faire sont tout un pour votre serviteur. En allant accommoder mes pratiques ce matin, j’ai averti d’abord monseigneur l’ambassadeur de Venise (je n’ai pas l’honneur de le coiffer en personne, mais je frise monsieur son secrétaire), ensuite M. l’abbé de Métastase, dont je fais la barbe tous les matins, et mademoiselle Marianne Martinez, sa pupille, dont la tête est également dans mes mains. Elle demeure, ainsi que lui, dans ma maison… c’est-à-dire que je demeure dans leur maison : n’importe ! Enfin j’ai pénétré chez deux ou trois autres personnes qui connaissent également la figure de Joseph, et qu’il est exposé à rencontrer chez maître Porpora. Celles dont je n’avais pas la pratique, je les abordais sous un prétexte quelconque : « J’ai ouï dire que madame la baronne faisait chercher chez mes confrères de la véritable graisse d’ours pour les cheveux, et je m’empresse de lui en apporter que je garantis. Je l’offre gratis comme échantillon aux personnes du grand monde, et ne leur demande que leur clientèle pour cette fourniture si elles en sont satisfaites. » Ou bien : « Voici un livre d’église qui a été trouvé à Saint-Étienne, dimanche dernier ; et comme je coiffe la cathédrale (c’est-à-dire la maîtrise de la cathédrale), j’ai été chargé de demander à Votre Excellence si ce livre ne lui appartient pas. » C’était un vieux bouquin de cuir doré et armorié, que j’avais pris dans le banc de quelque chanoine pour le présenter, sachant bien que personne ne le réclamerait. Enfin, quand j’avais réussi à me faire écouter un instant sous un prétexte ou sous un autre, je me mettais à babiller avec l’aisance et l’esprit que l’on tolère chez les gens de ma profession. Je disais, par exemple : « J’ai beaucoup entendu parler de Votre Seigneurie à un habile musicien de mes amis, Joseph Haydn ; c’est ce qui m’a donné