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çons par mettre tous nos soins à lui donner un peu de bonheur, et nous le verrons s’adoucir et revenir à son vrai caractère. Dans mon enfance, je l’ai vu cordial et enjoué ; on le citait pour la finesse et la gaieté de ses reparties : c’est qu’alors il avait des succès, des amis et de l’espérance. Si tu l’avais connu à l’époque où l’on chantait son Polifeme au théâtre de San-Mose, lorsqu’il me faisait entrer avec lui sur le théâtre, et me mettait dans la coulisse d’où je pouvais voir le dos des comparses et la tête du géant ! Comme tout cela me semblait beau et terrible, de mon petit coin ! Accroupie derrière un rocher de carton, ou grimpée sur une échelle à quinquets, je respirais à peine ; et, malgré moi, je faisais, avec ma tête et mes petits bras, tous les gestes, tous les mouvements que je voyais faire aux acteurs. Et quand le maître était rappelé sur la scène et forcé, par les cris du parterre, à repasser sept fois devant le rideau, le long de la rampe, je me figurais que c’était un dieu : c’est qu’il était fier, il était beau d’orgueil et d’effusion de cœur, dans ces moments-là ! Hélas ! il n’est pas encore bien vieux, et le voilà si changé, si abattu ! Voyons, Beppo, mettons-nous à l’œuvre, pour qu’en rentrant il retrouve son pauvre logis un peu plus agréable qu’il ne l’a laissé. D’abord je vais faire l’inspection de ses nippes, afin de voir ce qui lui manque.

— Ce qui lui manque sera un peu long à compter, et ce qu’il a, très-court à voir, répondit Joseph ; car je ne sache que ma garde-robe qui soit plus pauvre et en plus mauvais état.

— Eh bien, je m’occuperai aussi de remonter la tienne ; car je suis ton débiteur, Joseph ; tu m’as nourrie et vêtue tout le long du voyage. Songeons d’abord au Porpora. Ouvre-moi cette armoire. Quoi ! un seul habit ? celui qu’il avait hier soir chez l’ambassadeur ?