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délirante qui s’était emparée de lui lorsqu’elle lui avait raconté dans le souterrain les terreurs qu’elle venait d’affronter pour arriver jusqu’à lui. Elle déchira donc cette lettre, et, pensant qu’à une âme aussi profonde et à une organisation aussi impressionnable il fallait la manifestation d’une idée dominante et d’un sentiment unique, elle résolut de lui épargner tout le détail émouvant de la réalité, pour ne lui exprimer, en peu de mots, que l’affection promise et la fidélité jurée. Mais ce peu de mots ne pouvait être vague ; s’il n’était pas complètement affirmatif, il ferait naître des angoisses et des craintes affreuses. Comment pouvait-elle affirmer qu’elle avait enfin reconnu en elle-même l’existence de cet amour absolu et de cette résolution inébranlable dont Albert avait besoin pour exister en l’attendant ? La sincérité, l’honneur de Consuelo, ne pouvaient se plier à une demi-vérité. En interrogeant sévèrement son cœur et sa conscience, elle y trouvait bien la force et le calme de la victoire remportée sur Anzoleto. Elle y trouvait bien aussi, au point de vue de l’amour et de l’enthousiasme, la plus complète indifférence pour tout autre homme qu’Albert ; mais cette sorte d’amour, mais cet enthousiasme sérieux qu’elle avait pour lui seul, c’était toujours le même sentiment qu’elle avait éprouvé auprès de lui. Il ne suffisait pas que le souvenir d’Anzoleto fût vaincu, que sa présence fût écartée, pour que le comte Albert devînt l’objet d’une passion violente dans le cœur de cette jeune fille. Il ne dépendait pas d’elle de se rappeler sans effroi la maladie mentale du pauvre Albert, la triste solennité du château des Géants, les répugnances aristocratiques de la chanoinesse, le meurtre de Zdenko, la grotte lugubre de Schreckenstein, enfin toute cette vie sombre et bizarre qu’elle avait comme rêvée en Bohême ; car, après avoir humé le grand air du vaga-