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consuelo.

quelque chose de blessant et de méprisant que Consuelo sentit tout de suite, quoique ce quelque chose, masqué par l’habitude du grand monde et les égards qu’on devait à l’ambassadeur, fût quasi imperceptible.

Le comte Hoditz était, entre tous, remarquable par cette fine nuance de laisser-aller qui, loin de choquer Wilhelmine, lui semblait un hommage de plus. Consuelo n’en souffrait que pour cette pauvre personne dont la gloriole satisfaite lui paraissait misérable. Quant à elle-même, elle n’en était pas offensée ; Zingarella, elle ne prétendait à rien, et, n’exigeant pas seulement un regard, elle ne se souciait guère d’être saluée deux ou trois lignes plus haut ou plus bas. « Je viens ici faire mon métier de chanteuse, se disait-elle, et, pourvu que l’on m’approuve quand j’ai fini, je ne demande qu’à me tenir inaperçue dans un coin ; mais cette femme, qui mêle sa vanité à son amour (si tant est qu’elle mêle un peu d’amour à toute cette vanité), combien elle rougirait si elle voyait le dédain et l’ironie cachés sous des manières si galantes et si complimenteuses ! »

On la fit chanter encore ; on la porta aux nues, et elle partagea littéralement avec Caffariello les honneurs de la soirée. À chaque instant elle s’attendait à se voir abordée par le comte Hoditz, et à soutenir le feu de quelque malicieux éloge. Mais, chose étrange ! le comte Hoditz ne s’approcha pas du clavecin, vers lequel elle affectait de se tenir tournée pour qu’il ne vît pas ses traits, et lorsqu’il se fut enquis de son nom et de son âge, il ne parut pas avoir jamais entendu parler d’elle. Le fait est qu’il n’avait pas reçu le billet imprudent que, dans son audace voyageuse, Consuelo lui avait adressé par la femme du déserteur. Il avait, en outre, la vue fort basse ; et comme ce n’était pas alors la mode de lorgner en plein salon, il distinguait très-vaguement la