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grand bruit de son admiration. Holzbaüer, toujours souriant dans sa cravate, mais craignant de ne pas trouver dans sa caisse assez d’argent pour payer un si grand talent, garda, au milieu de ses louanges, une réserve diplomatique ; le Buononcini déclara que Consuelo surpassait encore madame Hasse et madame Cuzzoni. L’ambassadeur entra dans de tels transports, que la Wilhelmine en fut effrayée, surtout quand elle le vit ôter de son doigt un gros saphir pour le passer à celui de Consuelo, qui n’osait ni l’accepter ni le refuser. Le duo fut redemandé avec fureur ; mais la porte s’ouvrit, et le laquais annonça avec une respectueuse solennité M. le comte de Hoditz : tout le monde se leva par ce mouvement de respect instinctif que l’on porte, non au plus illustre, non au plus digne, mais au plus riche.

« Il faut que j’aie bien du malheur, pensa Consuelo, pour rencontrer ici d’emblée, et sans avoir eu le temps de parlementer, deux personnes qui m’ont vue en voyage avec Joseph, et qui ont pris sans doute une fausse idée de mes mœurs et de mes relations avec lui. N’importe, bon et honnête Joseph, au prix de toutes les calomnies que notre amitié pourra susciter, je ne la désavouerai jamais dans mon cœur ni dans mes paroles. »

Le comte Hoditz, tout chamarré d’or et de broderies, s’avança vers Wilhelmine, et, à la manière dont on baisait la main de cette femme entretenue, Consuelo comprit la différence qu’on faisait entre une telle maîtresse de maison et les fières patriciennes qu’elle avait vues à Venise. On était plus galant, plus aimable et plus gai auprès de Wilhelmine ; mais on parlait plus vite, on marchait moins légèrement, on croisait les jambes plus haut, on mettait le dos à la cheminée ; enfin on était un autre homme que dans le monde officiel. On paraissait se plaire davantage à ce sans-gêne ; mais il y avait au fond