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consuelo.

bonheur que j’aurai de vous entendre m’empêchera de penser à moi-même.

— Que pouvons-nous chanter ensemble ? dit Caffariello au Porpora. Choisis un duo, toi.

— Choisis toi-même, répondit-il. Il n’y a rien qu’elle ne puisse chanter avec toi.

— Eh bien donc, quelque chose de ta façon, je veux te faire plaisir aujourd’hui, maestro ; et d’ailleurs je sais que la signora Wilhelmine a ici toute ta musique, reliée et dorée avec un luxe oriental.

— Oui, grommela Porpora entre ses dents, mes œuvres sont plus richement habillées que moi. »

Caffariello prit les cahiers, feuilleta, et choisit un duo de l’Eumène, opéra que le maestro avait écrit à Rome pour Farinelli. Il chanta le premier solo avec cette grandeur, cette perfection, cette maestria, qui faisaient oublier en un instant tous ses ridicules pour ne laisser de place qu’à l’admiration et à l’enthousiasme. Consuelo se sentit ranimée et vivifiée de toute la puissance de cet homme extraordinaire, et chanta, à son tour, le solo de femme, mieux peut-être qu’elle n’avait chanté de sa vie. Caffariello n’attendit pas qu’elle eût fini pour l’interrompre par des explosions d’applaudissements.

« Ah ! cara ! s’écria-t-il à plusieurs reprises : c’est à présent que je te reconnais. C’est bien l’enfant merveilleux que j’avais remarqué à Venise : mais à présent figlia mia, tu es un prodige (un portento), c’est Caffariello qui te le déclare. »

La Wilhelmine fut un peu surprise, un peu décontenancée, de retrouver Consuelo plus puissante qu’à Venise. Malgré le plaisir d’avoir les débuts d’un tel talent dans son salon à Vienne, elle ne se vit pas, sans un peu d’effroi et de chagrin, réduite à ne plus oser chanter à ses habitués, après une telle virtuose. Elle fit pourtant