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consuelo.

courtisan. Il tenait tête follement et crânement aux plus importants personnages, aux souverains même, et pour cela il n’était point aimé des plats adulateurs, dont son impertinence faisait par trop la critique. Les vrais amis de l’art lui pardonnaient tout, à cause de son génie de virtuose ; et malgré toutes les lâchetés qu’on lui reprochait comme homme, on était bien forcé de reconnaître qu’il y avait dans sa vie des traits de courage et de générosité comme artiste.

Ce n’était point volontairement, et de propos délibéré, qu’il avait montré de la négligence et une sorte d’ingratitude envers le Porpora. Il se souvenait bien d’avoir étudié huit ans avec lui, et d’avoir appris de lui tout ce qu’il savait ; mais il se souvenait encore davantage du jour où son maître lui avait dit : « À présent je n’ai plus rien à t’apprendre : Va, figlio mio, tu sei il primo musico del mondo. » Et, de ce jour, Caffariello, qui était effectivement (après Farinelli) le premier chanteur du monde, avait cessé de s’intéresser à tout ce qui n’était pas lui-même. « Puisque je suis le premier, s’était-il dit, apparemment je suis le seul. Le monde a été créé pour moi ; le ciel n’a donné le génie aux poëtes et aux compositeurs que pour faire chanter Caffariello. Le Porpora n’a été le premier maître de chant de l’univers que parce qu’il était destiné à former Caffariello. Maintenant l’œuvre du Porpora est finie, sa mission est achevée, et pour la gloire, pour le bonheur, pour l’immortalité du Porpora, il suffit que Caffariello vive et chante. » Caffariello avait vécu et chanté, il était riche et triomphant, le Porpora était pauvre et délaissé ; mais Caffariello était fort tranquille, et se disait qu’il avait amassé assez d’or et de célébrité pour que son maître fût bien payé d’avoir lancé dans le monde un prodige tel que lui.