Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
consuelo.

souffert du séjour de la Bohême ? car vous avez vécu tout ce temps en Bohême, nous dit-on ; dans le pays le plus froid et le plus triste du monde ! C’est bien mauvais pour la poitrine, et je ne m’étonne pas que vous en ayez ressenti les effets. Mais ce n’est rien, la voix vous reviendra à notre beau soleil de Venise. »

Consuelo, voyant que la Wilhelmine était fort pressée de décréter l’altération de sa voix, s’abstint de démentir cette opinion, d’autant plus que son interlocutrice avait fait elle-même la question et la réponse. Elle ne se tourmentait pas de cette charitable supposition, mais de l’antipathie qu’elle devait s’attendre à rencontrer chez Holzbaüer à cause d’une réponse un peu brusque et un peu sincère qui lui était échappée sur sa musique au déjeuner du presbytère. Le maestro de la cour ne manquerait pas de se venger en racontant dans quel équipage et en quelle compagnie il l’avait rencontrée sur les chemins, et Consuelo craignait que cette aventure, arrivant aux oreilles du Porpora, ne l’indisposât contre elle, et surtout contre le pauvre Joseph.

Il en fut autrement : Holzbaüer ne dit pas un mot de l’aventure, pour des raisons que l’on saura par la suite ; et loin de montrer la moindre animosité à Consuelo, il s’approcha d’elle, et lui adressa des regards dont la malignité enjouée n’avait rien que de bienveillant. Elle feignit de ne pas les comprendre. Elle eût craint de paraître lui demander le secret, et quelles que pussent être les suites de leur rencontre, elle était trop fière pour ne pas les affronter tranquillement.

Elle fut distraite de cet incident par la figure d’un vieillard à l’air dur et hautain, qui montrait cependant beaucoup d’empressement à lier conversation avec le Porpora ; mais celui-ci, fidèle à sa mauvaise humeur, lui répondait à peine, et à chaque instant faisait un