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consuelo.

progrès que si je t’avais donné des leçons tous les jours depuis un an. Encore, encore, ma fille ; redis-moi ce thème. Tu me donnes le premier instant de bonheur que j’aie goûté depuis bien des mois ! »

Ils dînèrent ensemble, bien maigrement, à une petite table, près de la fenêtre. Le Porpora était mal logé ; sa chambre, triste, sombre et toujours en désordre, donnait sur un angle de rue étroite et déserte. Consuelo, le voyant bien disposé, se hasarda à lui parler de Joseph Haydn. La seule chose qu’elle lui eût cachée, c’était son long voyage pédestre avec ce jeune homme, et les incidents bizarres qui avaient établi entre eux une si douce et si loyale intimité. Elle savait que son maître prendrait en grippe, selon sa coutume, tout aspirant à ses leçons dont on commencerait par lui faire l’éloge. Elle raconta donc d’un air d’indifférence qu’elle avait rencontré, dans une voiture aux approches de Vienne, un pauvre petit diable qui lui avait parlé de l’école du Porpora avec tant de respect et d’enthousiasme, qu’elle lui avait presque promis d’intercéder en sa faveur auprès du Porpora lui-même.

« Eh ! quel est-il, ce jeune homme ? demanda le maestro ; à quoi se destine-t-il ? À être artiste, sans doute, puisqu’il est pauvre diable ! Oh ! je le remercie de sa clientèle. Je ne veux plus enseigner le chant qu’à des fils de famille. Ceux-là paient, n’apprennent rien, et sont fiers de nos leçons, parce qu’ils se figurent savoir quelque chose en sortant de nos mains. Mais les artistes ! tous lâches, tous ingrats, tous traîtres et menteurs. Qu’on ne m’en parle pas. Je ne veux jamais en voir un franchir le seuil de cette chambre. Si cela arrivait, vois-tu, je le jetterais par la fenêtre à l’instant même. »

Consuelo essaya de le dissuader de ces préventions ;