Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
consuelo.

assez impertinente pour prendre l’affaire au sérieux, et pour vous donner, par cette feinte ridicule, les airs d’une princesse de roman ? Vous me faites pitié ; et si le vieux comte, si la chanoinesse, si la baronne Amélie sont informés de vos prétentions, vous me faites honte ; je vous le dis encore une fois, je rougis de vous. »

Consuelo savait qu’il ne fallait pas contredire le Porpora lorsqu’il était en train de déclamer, ni l’interrompre au milieu d’un sermon. Elle le laissa exhaler son indignation, et quand il lui eut dit tout ce qu’il put imaginer de plus blessant et de plus injuste, elle lui raconta de point en point, avec l’accent de la vérité et la plus scrupuleuse exactitude, tout ce qui s’était passé au château des Géants, entre elle, le comte Albert, le comte Christian, Amélie, la chanoinesse et Anzoleto. Le Porpora, qui, après avoir donné un libre cours à son besoin d’emportement et d’invectives, savait, lui aussi, écouter et comprendre, prêta la plus sérieuse attention à son récit ; et quand elle eut fini, il lui adressa encore plusieurs questions pour s’enquérir de nouveaux détails et pénétrer complètement dans la vie intime et dans les sentiments de toute la famille.

« Alors !… lui dit-il enfin, tu as bien agi, Consuelo. Tu as été sage, tu as été digne, tu as été forte comme je devais l’attendre de toi. C’est bien. Le ciel t’a protégée, et il te récompensera en te délivrant une fois pour toutes de cet infâme Anzoleto. Quant au jeune comte, tu n’y dois pas penser. Je te le défends. Un pareil sort ne te convient pas. Jamais le comte Christian ne te permettra de redevenir artiste, sois assurée de cela. Je connais mieux que toi l’orgueil indomptable des nobles. Or, à moins que tu ne te fasses à cet égard des illusions que je trouverais puériles et insensées, je ne pense pas que tu hésites un instant entre la fortune des grands et celle des enfants