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consuelo.

« Le comte Albert ! s’écria-t-il, l’héritier des Rudolstadt, le descendant des rois de Bohême, le seigneur de Riesenburg ! il a voulu t’épouser, toi, petite Égyptienne ? toi, la laideron de la Scuola, la fille sans père, la comédienne sans argent et sans engagement ? toi, qui as demandé l’aumône, pieds nus, dans les carrefours de Venise ?

— Moi ! votre élève ! moi, votre fille adoptive ! oui, moi, la Porporina ! répondit Consuelo avec un orgueil tranquille et doux.

— Belle illustration et brillante condition ! En effet, reprit le maestro avec amertume, j’avais oublié celles-là dans la nomenclature. La dernière et l’unique élève d’un maître sans école, l’héritière future de ses guenilles et de sa honte, la continuatrice d’un nom qui est déjà effacé de la mémoire des hommes ! il y a de quoi se vanter, et voilà de quoi rendre fous les fils des plus illustres familles !

— Apparemment, maître, dit Consuelo avec un sourire mélancolique et caressant, que nous ne sommes pas encore tombés si bas dans l’estime des hommes de bien qu’il vous plaît de le croire ; car il est certain que le comte veut m’épouser, et que je viens ici vous demander votre agrément pour y consentir, ou votre protection pour m’en défendre.

— Consuelo, répondit le Porpora d’un ton froid et sévère, je n’aime point ces sottises-là. Vous devriez savoir que je hais les romans de pensionnaire ou les aventures de coquette. Jamais je ne vous aurais crue capable de vous mettre en tête pareilles billevesées, et je suis vraiment honteux pour vous d’entendre de telles choses. Il est possible que le jeune comte de Rudolstadt ait pris pour vous une fantaisie, et que, dans l’ennui de la solitude, ou dans l’enthousiasme de la musique, il vous ait fait deux doigts de cour ; mais comment avez-vous été