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consuelo.

tretient les pâles fleurs qui naissent sous ses pas, et les protège contre ses embrassements parfois un peu rudes. »

Consuelo regarda le ciel à travers les fentes du rocher. Elle vit briller une étoile.

« C’est Aldébaram, l’étoile des zingari, lui dit Albert. Le jour ne paraîtra que dans une heure.

— C’est mon étoile, répondit Consuelo ; car je suis, non de race, mais de condition, une sorte de zingara, mon cher comte. Ma mère ne portait pas d’autre nom à Venise, quoiqu’elle se révoltât contre cette appellation, injurieuse, selon ses préjugés espagnols. Et moi j’étais, je suis encore connue dans ce pays-là, sous le titre de Zingarella.

— Que n’es-tu en effet un enfant de cette race persécutée ! répondit Albert : je t’aimerais encore davantage, s’il était possible ! »

Consuelo, qui avait cru bien faire en rappelant au comte de Rudolstadt la différence de leurs origines et de leurs conditions, se souvint de ce qu’Amélie lui avait appris des sympathies d’Albert pour les pauvres et les vagabonds. Elle craignit de s’être abandonnée involontairement à un sentiment de coquetterie instinctive, et garda le silence.

Mais Albert le rompit au bout de quelques instants.

« Ce que vous venez de m’apprendre, dit-il, a réveillé en moi, par je ne sais quel enchaînement d’idées, un souvenir de ma jeunesse, assez puéril, mais qu’il faut que je vous raconte, parce que, depuis que je vous ai vue, il s’est présenté plusieurs fois à ma mémoire avec une sorte d’insistance. Appuyez-vous sur moi davantage, pendant que je vous parlerai, chère sœur.

« J’avais environ quinze ans ; je revenais seul, un soir, par un des sentiers qui côtoient le Schreckenstein, et qui serpentent sur les collines, dans la direction du