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consuelo.

charme souverain ; aidez-moi, ou je succombe. Dites-moi qui vous êtes, car je ne vous connais pas ; je ne me souviens pas de vous avoir jamais vue : je ne sais de quel sexe vous êtes ; et vous voilà devant moi comme une statue mystérieuse dont j’essaie vainement de retrouver le type dans mes souvenirs. Aidez-moi, aidez-moi, car je me sens mourir. »

En parlant ainsi, Albert, dont le visage s’était d’abord coloré d’un éclat fébrile, redevint d’une pâleur effrayante. Il étendit les mains vers Consuelo ; mais il les abaissa aussitôt vers la terre pour se soutenir, comme atteint d’une irrésistible défaillance.

Consuelo, en s’initiant peu à peu aux secrets de sa maladie mentale, se sentit vivifiée et comme inspirée par une force et une intelligence nouvelles. Elle lui prit les mains, et, le forçant de se relever, elle le conduisit vers le siège qui était auprès de la table. Il s’y laissa tomber, accablé d’une fatigue inouïe, et se courba en avant comme s’il eût été près de s’évanouir. Cette lutte dont il parlait n’était que trop réelle. Albert avait la faculté de retrouver sa raison et de repousser les suggestions de la fièvre qui dévorait son cerveau ; mais il n’y parvenait pas sans des efforts et des souffrances qui épuisaient ses organes. Quand cette réaction s’opérait d’elle-même, il en sortait rafraîchi et comme renouvelé ; mais quand il la provoquait par une résolution de sa volonté encore puissante, son corps succombait sous la crise, et la catalepsie s’emparait de tous ses membres. Consuelo comprit ce qui se passait en lui :

« Albert, lui dit-elle en posant sa main froide sur cette tête brûlante, je vous connais, et cela suffit. Je m’intéresse à vous, et cela doit vous suffire aussi quant à présent. Je vous défends de faire aucun effort de volonté pour me reconnaître et me parler. Écoutez-moi seule-