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consuelo.

ment pour gronder Joseph de sa facilité à écouter les belles paroles du premier venu et les inspirations du bon vin.

« Ai-je donc dit quelque chose de trop ? dit Joseph effrayé.

— Non, reprit-elle ; mais c’est déjà une imprudence que de faire société aussi longtemps avec des inconnus. À force de me regarder, on peut s’apercevoir ou tout au moins se douter que je ne suis pas un garçon. J’ai eu beau frotter mes mains avec mon crayon pour les noircir, et les tenir le plus possible sous la table, il eût été impossible qu’on ne remarquât point leur faiblesse, si heureusement ces deux messieurs n’avaient été absorbés, l’un par la bouteille, et l’autre par son propre babil. Maintenant le plus prudent serait de nous éclipser, et d’aller dormir dans une autre auberge ; car je ne suis pas tranquille avec ces nouvelles connaissances qui semblent vouloir s’attacher à nos pas.

— Eh quoi ! dit Joseph, nous en aller honteusement comme des ingrats, sans saluer et sans remercier cet honnête homme, cet illustre professeur, peut-être ? Qui sait si ce n’est pas le grand Hasse lui-même que nous venons d’entretenir.

— Je vous réponds que non ; et si vous aviez eu votre tête, vous auriez remarqué une foule de lieux communs misérables qu’il a dits sur la musique. Un maître ne parle point ainsi. C’est quelque musicien des derniers rangs de l’orchestre, bonhomme, grand parleur et passablement ivrogne. Je ne sais pourquoi je crois voir, à sa figure, qu’il n’a jamais soufflé que dans du cuivre ; et, à son regard de travers, on dirait qu’il a toujours un œil sur son chef d’orchestre.

Corno, ou clarino secondo, s’écria Joseph en éclatant de rire, ce n’en est pas moins un convive agréable.

— Et vous, vous ne l’êtes guère, répliqua Consuelo