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consuelo.

— Je veux aller voir la Porporina.

— En vérité ! »

Et Consuelo, craignant de se trahir devant un voyageur qui pourrait parler d’elle au château des Géants, se reprit pour demander d’un air indifférent :

« Et qu’est-ce que cette Porporina, s’il vous plaît ?

— Vous ne le savez pas ? Hélas ! je vois bien que vous êtes tout à fait étrangère en ce pays. Mais, puisque vous êtes musicienne et que vous connaissez le nom de Fuchs, vous connaissez bien sans doute celui du Porpora ?

— Et vous, vous connaissez le Porpora ?

— Pas encore, et c’est parce que je voudrais le connaître que je cherche à obtenir la protection de son élève fameuse et chérie, la signora Porporina.

— Contez-moi donc comment cette idée vous est venue. Je pourrai peut-être chercher avec vous à approcher de ce château et de cette Porporina.

— Je vais vous conter toute mon histoire. Je suis, comme je vous l’ai dit, fils d’un brave charron, et natif d’un petit bourg aux confins de l’Autriche et de la Hongrie. Mon père est sacristain et organiste de son village ; ma mère, qui a été cuisinière chez le seigneur de notre endroit, a une belle voix ; et mon père, pour se reposer de son travail, l’accompagnait le soir sur la harpe. Le goût de la musique m’est venu ainsi tout naturellement, et je me rappelle que mon plus grand plaisir, quand j’étais tout petit enfant, c’était de faire ma partie dans nos concerts de famille sur un morceau de bois que je raclais avec un bout de latte, me figurant que je tenais un violon et un archet dans mes mains et que j’en tirais des sons magnifiques. Oh, oui ! il me semble encore que mes chères bûches n’étaient pas muettes, et qu’une voix divine, que les autres n’entendaient pas, s’exhalait autour de moi et m’enivrait des plus célestes mélodies.