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consuelo.

Rentrée dans sa chambre, Consuelo fut saisie d’une véritable épouvante. Elle ne voulait point recevoir Anzoleto, et en même temps elle craignait qu’il fût empêché de venir la trouver. Toujours ce sentiment double, faux, insurmontable, tourmentait sa pensée, et mettait son cœur aux prises avec sa conscience. Jamais elle ne s’était sentie si malheureuse, si exposée, si seule sur la terre. « Ô mon maître Porpora, où êtes-vous ? s’écriait-elle. Vous seul pourriez me sauver ; vous seul connaissez mon mal et les périls auxquels je suis livrée. Vous seul êtes rude, sévère, et méfiant, comme devrait l’être un ami et un père, pour me retirer de cet abîme où je tombe !… Mais n’ai-je pas des amis autour de moi ? N’ai-je pas un père dans le comte Christian ? La chanoinesse ne serait-elle pas une mère pour moi, si j’avais le courage de braver ses préjugés et de lui ouvrir mon cœur ? Et Albert n’est-il pas mon soutien, mon frère, mon époux, si je consens à dire un mot ! Oh ! oui, c’est lui qui doit être mon sauveur ; et je le crains ! et je le repousse !… Il faut que j’aille les trouver tous les trois, ajoutait-elle en se levant et en marchant avec agitation dans sa chambre. Il faut que je m’engage avec eux, que je m’enchaîne à leurs bras protecteurs, que je m’abrite sous les ailes de ces anges gardiens. Le repos, la dignité, l’honneur, résident avec eux ; l’abjection et le désespoir m’attendent auprès d’Anzoleto. Oh ! oui ! il faut que j’aille leur faire la confession de cette affreuse journée, que je leur dise ce qui se passe en moi, afin qu’ils me préservent et me défendent de moi-même. Il faut que je me lie à eux par un serment, que je dise ce oui terrible qui mettra une invincible barrière entre moi et mon fléau ! J’y vais !… »

Et, au lieu d’y aller, elle retombait épuisée sur sa chaise, et pleurait avec déchirement son repos perdu, sa force brisée.