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consuelo.

l’âme et pénétrait, par la puissance mystérieuse de la divination, dans les plus secrètes pensées des méchants et des fourbes. Je n’expliquerai pas d’une manière naturelle ce don étrange qu’il possédait parfois. Certaines facultés (non approfondies et non définies par la science) restèrent chez lui incompréhensibles pour ses proches, comme elles le sont pour l’historien qui vous les raconte, et qui, à l’égard de ces sortes de choses, n’est pas plus avancé, après cent ans écoulés, que ne le sont les grands esprits de son siècle. Albert, en voyant à nu l’âme égoïste et vaine de son rival, ne se dit pas : Voilà mon ennemi ; mais il se dit : Voilà l’ennemi de Consuelo. Et, sans rien faire paraître de sa découverte, il se promit de veiller sur elle, et de la préserver.

LXI.

Aussitôt que Consuelo vit un instant favorable, elle sortit du salon, et alla dans le jardin. Le soleil était couché, et les premières étoiles brillaient sereines et blanches dans un ciel encore rose vers l’occident, déjà noir à l’est. La jeune artiste cherchait à respirer le calme dans cet air pur et frais des premières soirées d’automne. Son sein était oppressé d’une langueur voluptueuse ; et cependant elle en éprouvait des remords, et appelait au secours de sa volonté toutes les forces de son âme. Elle eût pu se dire : « Ne puis-je donc savoir si j’aime ou si je hais ?  » Elle tremblait, comme si elle eût senti son courage l’abandonner dans la crise la plus dangereuse de sa vie ; et, pour la première fois, elle ne retrouvait pas en elle cette droiture de premier mouvement, cette sainte confiance dans ses intentions, qui l’avaient toujours soutenue dans ses épreuves. Elle avait quitté le salon pour se dérober à la fascination qu’Anzoleto exerçait sur elle,