Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.
198
consuelo.

jugés ; votre exemple me prouve que c’est un devoir pour moi de les fouler aux pieds, et d’être aussi grande, aussi héroïque que vous ! Ne parlons donc plus de mes répugnances, de ma fausse honte. Ne parlons même plus de mon avenir, de mon art ! ajouta-t-elle en poussant un profond soupir. Cela même je saurai l’abjurer si… si j’aime Albert ! Car voilà ce qu’il faut que je sache. Écoutez-moi, monseigneur. Je me le suis cent fois demandé à moi-même, mais jamais avec la sécurité que pouvait seule me donner votre adhésion. Comment aurais-je pu m’interroger sérieusement, lorsque cette question même était à mes yeux une folie et un crime ? À présent, il me semble que je pourrai me connaître et me décider. Je vous demande quelques jours pour me recueillir, et pour savoir si ce dévouement immense que j’ai pour lui, ce respect, cette estime sans bornes que m’inspirent ses vertus, cette sympathie puissante, cette domination étrange qu’il exerce sur moi par sa parole, viennent de l’amour ou de l’admiration. Car j’éprouve tout cela, monseigneur, et tout cela est combattu en moi par une terreur indéfinissable, par une tristesse profonde, et, je vous dirai tout, ô mon noble ami ! par le souvenir d’un amour moins enthousiaste, mais plus doux et plus tendre, qui ne ressemblait en rien à celui-ci.

— Étrange et noble fille ! répondit Christian avec attendrissement ; que de sagesse et de bizarreries dans vos paroles et dans vos idées ! Vous ressemblez sous bien des rapports à mon pauvre Albert, et l’incertitude agitée de vos sentiments me rappelle ma femme, ma noble, et belle, et triste Wanda !… Ô Consuelo ! vous réveillez en moi un souvenir bien tendre et bien amer. J’allais vous dire : Surmontez ces irrésolutions, triomphez de ces répugnances ; aimez, par vertu, par grandeur d’âme, par compassion, par l’effort d’une charité pieuse et ar-