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consuelo.

— Hélas, monseigneur, que penserez-vous de moi, si je vous dis que je l’ignore moi-même ?

— Je penserai que c’est l’éloignement, ma chère Consuelo. Ah ! mon fils, mon pauvre fils ! Quelle affreuse destinée est la sienne ! Ne pouvoir être aimé de la seule femme qu’il ait pu, qu’il pourra peut-être jamais aimer ! Ce dernier malheur nous manquait.

— Ô mon Dieu ! vous devez me haïr, monseigneur ! Vous ne comprenez pas que ma fierté résiste quand vous immolez la vôtre. La fierté d’une fille comme moi vous paraît bien moins fondée ; et pourtant croyez que dans mon cœur il y a un combat aussi violent à cette heure que celui dont vous avez triomphé vous-même.

— Je le comprends. Ne croyez pas, signora, que je respecte assez peu la pudeur, la droiture et le désintéressement, pour ne pas apprécier la fierté fondée sur de tels trésors. Mais ce que l’amour paternel a su vaincre (vous voyez que je vous parle avec un entier abandon), je pense que l’amour d’une femme le fera aussi. Eh bien, quand toute la vie d’Albert, la vôtre et la mienne seraient, je le suppose, un combat contre les préjugés du monde, quand nous devrions en souffrir longtemps et beaucoup tous les trois, et ma sœur avec nous, n’y aurait-il pas dans notre mutuelle tendresse, dans le témoignage de notre conscience, et dans les fruits de notre dévouement, de quoi nous rendre plus forts que tout ce monde ensemble ? Un grand amour fait paraître légers ces maux qui vous semblent trop lourds pour vous-même et pour nous. Mais ce grand amour, vous le cherchez, éperdue et craintive, au fond de votre âme ; et vous ne l’y trouvez pas, Consuelo, parce qu’il n’y est pas.

— Eh bien, oui, la question est là, là tout entière, dit Consuelo en posant fortement ses mains contre son cœur ; tout le reste n’est rien. Moi aussi j’avais des pré-