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après l’accomplissement du sacrifice ordonné par les destins farouches. Cette tranquillité triste, mais profonde, avec un pareil poids sur la poitrine, ressemblait à un reste de folie ; et Consuelo ne pouvait justifier son ami qu’en se rappelant qu’il était fou. Si, dans un combat à force ouverte contre quelque bandit, il eût tué son adversaire pour la sauver, elle n’eût trouvé là qu’un motif de plus de reconnaissance, et peut-être d’admiration pour sa vigueur et son courage. Mais ce meurtre mystérieux, accompli sans doute dans les ténèbres du souterrain ; cette tombe creusée dans le lieu de la prière, et ce farouche silence après une pareille crise ; ce fanatisme stoïque avec lequel il avait osé la conduire dans la grotte, et s’y livrer lui-même aux charmes de la musique, tout cela était horrible, et Consuelo sentait que l’amour de cet homme refusait d’entrer dans son cœur. « Quand donc a-t-il pu commettre ce meurtre ? se demandait-elle. Je n’ai pas vu sur son front, depuis trois mois, un pli assez profond pour me faire présumer un remords ! N’a-t-il pas eu quelques gouttes de sang sur les mains, un jour que je lui aurai tendu la mienne. Horreur ! Il faut qu’il soit de pierre ou de glace, ou qu’il m’aime jusqu’à la férocité. Et moi, qui avais tant désiré d’inspirer un amour sans bornes ! moi, qui regrettais si amèrement d’avoir été faiblement aimée ! Voilà donc l’amour que le ciel me réservait pour compensation ! »

Puis elle recommençait à chercher dans quel moment Albert avait pu accomplir son horrible sacrifice. Elle pensait que ce devait être pendant cette grave maladie qui l’avait rendue indifférente à toutes les choses extérieures ; et lorsqu’elle se rappelait les soins tendres et délicats qu’Albert lui avait prodigués, elle ne pouvait concilier les deux faces d’un être si dissemblable à lui-même et à tous les autres hommes.