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consuelo.

— Albert, je vous aime autant qu’il m’est permis de le faire. Je vous aimerais sans doute comme vous méritez de l’être, si…

— Achevez à votre tour !

— Si des obstacles insurmontables ne m’en faisaient pas un crime.

— Et quels sont donc ces obstacles ? Je les cherche en vain autour de vous ; je ne les trouve qu’au fond de votre cœur, que dans vos souvenirs, sans doute !

— Ne parlons pas de mes souvenirs ; ils sont odieux, et j’aimerais mieux mourir tout de suite que de recommencer le passé. Mais votre rang dans le monde, votre fortune, l’opposition et l’indignation de vos parents, où voudriez-vous que je prisse le courage d’accepter tout cela ? Je ne possède rien au monde que ma fierté et mon désintéressement ; que me resterait-il si j’en faisais le sacrifice ?

— Il te resterait mon amour et le tien, si tu m’aimais. Je sens que cela n’est point, et je ne te demanderai qu’un peu de pitié. Comment pourrais-tu être humiliée de me faire l’aumône de quelque bonheur ? Lequel de nous serait donc prosterné devant l’autre ? En quoi ma fortune te dégraderait-elle ? Ne pourrions-nous pas la jeter bien vite aux pauvres, si elle te pesait autant qu’à moi ? Crois-tu que je n’aie pas pris dès longtemps la ferme résolution de l’employer comme il convient à mes croyances et à mes goûts, c’est-à-dire de m’en débarrasser, quand la perte de mon père viendra ajouter la douleur de l’héritage à la douleur de la séparation ! Eh bien, as-tu peur d’être riche ? j’ai fait vœu de pauvreté. Crains-tu d’être illustrée par mon nom ? c’est un faux nom, et le véritable est un nom proscrit. Je ne le reprendrai pas, ce serait faire injure à la mémoire de mon père ; mais, dans l’obscurité où je me plongerai, nul