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nul autre dieu n’est venu présider. Est-ce votre faute, Consuelo, si ces gymnases sont devenus des antres de corruption ? La nature, qui poursuit ses prodiges sans s’inquiéter de l’accueil que recevront ses chefs-d’œuvre parmi les hommes, vous avait formée pour briller entre toutes les femmes, et pour répandre sur le monde les trésors de la puissance et du génie. Le cloître et le tombeau sont synonymes. Vous ne pouviez, sans commettre un suicide, ensevelir les dons de la Providence. Vous avez dû chercher votre essor dans un air plus libre. La manifestation est la condition de certaines existences, le vœu de la nature les y pousse irrésistiblement ; et la volonté de Dieu à cet égard est si positive, qu’il leur retire les facultés dont il les avait douées, dès qu’elles en méconnaissent l’usage. L’artiste dépérit et s’éteint dans l’obscurité, comme le penseur s’égare et s’exaspère dans la solitude absolue, comme tout esprit humain se détériore et se détruit dans l’isolement et la claustration. Allez donc au théâtre, Consuelo, si vous voulez, et subissez-en l’apparente flétrissure avec la résignation d’une âme pieuse, destinée à souffrir, à chercher vainement sa patrie en ce monde d’aujourd’hui, mais forcée de fuir les ténèbres qui ne sont pas l’élément de sa vie, et hors desquelles le souffle de l’Esprit saint la rejette impérieusement.

Albert parla longtemps ainsi avec animation, entraînant Consuelo à pas rapides sous les ombrages de la garenne. Il n’eut pas de peine à lui communiquer l’enthousiasme qu’il portait dans le sentiment de l’art, et à lui faire oublier la répugnance qu’elle avait eue d’abord à retourner à la grotte. En voyant qu’il le désirait vivement, elle se mit à désirer elle-même de se retrouver seule assez longtemps avec lui pour entendre les idées que cet homme ardent et timide n’osait émettre que de-