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plus à l’humanité que par ce que l’humanité a puisé de divin et d’éternel dans le sein du Créateur. Tout ce que ta bouche me refuse de consolation et d’encouragement dans le cours ordinaire de la vie, tout ce que la tyrannie sociale défend à ton cœur de me révéler, tes chants me le rendent au centuple. Tu me communiques alors tout ton être, et mon âme te possède dans la joie et dans la douleur, dans la foi et dans la crainte, dans le transport de l’enthousiasme et dans les langueurs de la rêverie. »

Quelquefois Albert disait ces choses à Consuelo en espagnol, en présence de sa famille. Mais la contrariété évidente que donnaient à la chanoinesse ces sortes d’à-parte, et le sentiment de la convenance, empêchaient la jeune fille d’y répondre. Un jour enfin elle se trouva seule avec lui au jardin, et comme il lui parlait encore du bonheur qu’il éprouvait à l’entendre chanter :

« Puisque la musique est un langage plus complet et plus persuasif que la parole, lui dit-elle, pourquoi ne le parlez-vous jamais avec moi, vous qui le connaissez peut-être encore mieux ?

— Que voulez-vous dire, Consuelo ? s’écria le jeune comte frappé de surprise. Je ne suis musicien qu’en vous écoutant.

— Ne cherchez pas à me tromper, reprit-elle : je n’ai jamais entendu tirer d’un violon une voix divinement humaine qu’une seule fois dans ma vie, et c’était par vous, Albert ; c’était dans la grotte du Schreckenstein. Je vous ai entendu ce jour-là, avant que vous m’ayez vue. J’ai surpris votre secret ; il faut que vous me le pardonniez, et que vous me fassiez entendre encore cet admirable chant, dont j’ai retenu quelques phrases, et qui m’a révélé des beautés inconnues dans la musique. »

Consuelo essaya à demi-voix ces phrases, dont elle se