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confiante qui inspirait je ne sais quelle sympathie soudaine, irrésistible. Quand le goûter fut fini, il l’engagea à venir prendre le frais du soir, dans sa gondole avec ses amis. Marcello en fut dispensé, à cause du mauvais état de sa santé. Mais le Porpora, le comte Barberigo, et plusieurs autres patriciens acceptèrent. Anzoleto fut admis. Consuelo, qui se sentait un peu troublée d’être seule avec tant d’hommes, pria tout bas le comte de vouloir bien inviter la Clorinda ; et Zustiniani, qui ne comprenait pas le badinage d’Anzoleto avec cette pauvre fille, ne fut pas fâché de le voir occupé d’une autre que de sa fiancée. Ce noble comte, grâce à la légèreté de son caractère, grâce à sa belle figure, à son opulence, à son théâtre, et aussi aux mœurs faciles du pays et de l’époque, ne manquait pas d’une bonne dose de fatuité. Animé par le vin de Grèce et l’enthousiasme musical, impatient de se venger de sa perfide Corilla, il n’imagina rien de plus naturel que de faire la cour à Consuelo ; et, s’asseyant près d’elle dans la gondole, tandis qu’il avait arrangé chacun de manière à ce que l’autre couple de jeunes gens se trouvât à l’extrémité opposée, il commença à couver du regard sa nouvelle proie d’une façon fort significative. La bonne Consuelo n’y comprit pourtant rien du tout. Sa candeur et sa loyauté se seraient refusées à supposer que le protecteur de son ami pût avoir de si méchants desseins ; mais sa modestie habituelle, que n’altérait en rien le triomphe éclatant de la journée, ne lui permit pas même de croire de tels desseins possibles. Elle s’obstina à respecter dans son cœur le seigneur illustre qui l’adoptait avec Anzoleto, et à s’amuser ingénument d’une partie de plaisir où elle n’entendait pas malice.

Tant de calme et de bonne foi surprirent le comte, au point qu’il resta incertain si c’était l’abandon joyeux d’une âme sans résistance ou la stupidité d’une innocence