Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
consuelo.

veille les larges plis de ta jupe. Mais je regrette tes cheveux noirs… du moins je le crois… Mais c’est la tenue du peuple, et il faut que tu sois demain une signora.

— Et pourquoi faut-il que je sois une signora ? Moi, je hais cette poudre qui affadit, et qui vieillit les plus belles. J’ai l’air empruntée sous ces falbalas ; en un mot, je me déplais ainsi, et je vois que tu es de mon avis. Tiens, j’ai été ce matin à la répétition, et j’ai vu la Clorinda qui essayait aussi une robe neuve. Elle était si pimpante, si brave, si belle (oh ! celle-là est heureuse, et il ne faut pas la regarder deux fois pour s’assurer de sa beauté), que je me sens effrayée de paraître à côté d’elle devant le comte.

— Sois tranquille, le comte l’a vue ; mais il l’a entendue aussi.

— Et elle a mal chanté ?

— Comme elle chante toujours.

— Ah ! mon ami, ces rivalités gâtent le cœur. Il y a quelque temps si la Clorinda, qui est une bonne fille malgré sa vanité, eût fait fiasco devant un juge, je l’aurais plainte du fond de l’âme, j’aurais partagé sa peine et son humiliation. Et voilà qu’aujourd’hui je me surprends à m’en réjouir ! Lutter, envier, chercher à se détruire mutuellement ; et tout cela pour un homme qu’on n’aime pas, qu’on ne connaît pas ! Je me sens affreusement triste, mon cher amour, et il me semble que je suis aussi effrayée de l’idée de réussir que de celle d’échouer. Il me semble que notre bonheur prend fin, et que demain après l’épreuve, quelle qu’elle soit, je rentrerai dans cette pauvre chambre, tout autre que je n’y ai vécu jusqu’à présent.

Deux grosses larmes roulèrent sur les joues de Consuelo.