Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
consuelo.

ses oreilles à la musique des modernes, cherchait donc à les écraser sous la gloire et l’autorité des anciens. Il étendait sa réprobation trop sévère jusque sur les gracieuses compositions de Galoppi, et jusque sur les originales fantaisies du Chiozzetto, le compositeur populaire de Venise. Enfin il ne fallait plus lui parler que du père Martini, de Durante, de Monteverde, de Palestrina ; j’ignore si Marcello et Leo trouvaient grâce devant lui. Ce fut donc froidement et tristement qu’il reçut les premières ouvertures du comte Zustiniani concernant son élève inconnue, la pauvre Consuelo, dont il désirait pourtant le bonheur et la gloire ; car il était trop expérimenté dans le professorat pour ne pas savoir tout ce qu’elle valait, tout ce qu’elle méritait. Mais à l’idée de voir profaner ce talent si pur et si fortement nourri de la manne sacrée des vieux maîtres, il baissa la tête d’un air consterné, et répondit au comte :

« Prenez-la donc, cette âme sans tache, cette intelligence sans souillure ; jetez-la aux chiens, et livrez-la aux bêtes, puisque telle est la destinée du génie au temps où nous sommes. »

Cette douleur à la fois sérieuse et comique donna au comte une idée du mérite de l’élève, par le prix qu’un maître si rigide y attachait.

« Eh quoi, mon cher maestro, s’écria-t-il, est-ce là en effet votre opinion ? La Consuelo est-elle un être aussi extraordinaire, aussi divin ?

— Vous l’entendrez, dit le Porpora d’un air résigné ; et il répéta : c’est sa destinée ! »

Cependant le comte vint à bout de relever les esprits abattus du maître, en lui faisant espérer une réforme sérieuse dans le choix des opéras qu’il mettrait au répertoire de son théâtre. Il lui promit l’exclusion des mauvais ouvrages, aussitôt qu’il aurait expulsé la Corilla,