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Charles VI. Favorisé aussi à la cour de Saxe[1], Porpora avait été appelé ensuite à Londres, où il avait eu la gloire de rivaliser pendant neuf ou dix ans avec Handel, le maître des maîtres, dont l’étoile pâlissait à cette époque. Mais le génie de ce dernier l’avait emporté enfin, et le Porpora, blessé dans son orgueil ainsi que maltraité dans sa fortune, était revenu à Venise reprendre sans bruit et non sans peine la direction d’un autre conservatoire. Il y écrivait encore des opéras : mais c’est avec peine qu’il les faisait représenter ; et le dernier, bien que composé à Venise, fut joué à Londres où il n’eut point de succès. Son génie avait reçu ces profondes atteintes dont la fortune et la gloire eussent pu le relever ; mais l’ingratitude de Hasse, de Farinelli, et de Cafarelli, qui l’abandonnèrent de plus en plus, acheva de briser son cœur, d’aigrir son caractère et d’empoisonner sa vieillesse. On sait qu’il est mort misérable et désolé, dans sa quatre-vingtième année, à Naples.

À l’époque où le comte Zustiniani, prévoyant et désirant presque la défection de Corilla, cherchait à remplacer cette cantatrice, le Porpora était en proie à de violents accès d’humeur atrabilaire, et son dépit n’était pas toujours mal fondé ; car si l’on aimait et si l’on chantait à Venise la musique de Jomelli, de Lotti, de Carissimi, de Gasparini, et d’autres excellents maîtres, on y prisait sans discernement la musique bouffe de Cocchi, del Buini, de Salvator Apollini, et d’autres compositeurs plus ou moins indigènes, dont le style commun et facile flattait le goût des esprits médiocres. Les opéras de Hasse ne pouvaient plaire à son maître, justement irrité. Le respectable et malheureux Porpora, fermant son cœur et

  1. Il y donna des leçons de chant et de composition à la princesse électorale de Saxe, qui fut depuis, en France, la Grande Dauphine, mère de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X.