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que lui octroyait de temps en temps le comte Zustiniani. Cette vie lui plut deux ou trois semaines, au bout desquelles il trouva que son bien-être, sa santé et sa voix s’altéraient sensiblement ; que le far-niente n’était pas le désordre, et que le désordre n’était pas son élément. Préservé des mauvaises passions par l’amour bien entendu de soi-même, il se retira dans la solitude et s’efforça d’étudier ; mais cette solitude lui sembla effrayante de tristesse et de difficultés. Il s’aperçut alors que Consuelo était aussi nécessaire à son talent qu’à son bonheur. Studieuse et persévérante, vivant dans la musique comme l’oiseau dans l’air et le poisson dans l’eau, aimant à vaincre les difficultés sans se rendre plus de raison de l’importance de cette victoire qu’il n’appartient à un enfant, mais poussée fatalement à combattre les obstacles et à pénétrer les mystères de l’art, par cet invincible instinct qui fait que le germe des plantes cherche à percer le sein de la terre et à se lancer vers le jour, Consuelo avait une de ces rares et bienheureuses organisations pour lesquelles le travail est une jouissance, un repos véritable, un état normal nécessaire, et pour qui l’inaction serait une fatigue, un dépérissement, un état maladif, si l’inaction était possible à de telles natures. Mais elles ne la connaissent pas ; dans une oisiveté apparente, elles travaillent encore ; leur rêverie n’est point vague, c’est une méditation. Quand on les voit agir, on croit qu’elles créent, tandis qu’elles manifestent seulement une création récente. — Tu me diras, cher lecteur, que tu n’as guère connu de ces organisations exceptionnelles. Je te répondrai, lecteur bien-aimé, que je n’en ai connu qu’une seule, et si, suis-je plus vieux que toi. Que ne puis-je te dire que j’ai analysé sur mon pauvre cerveau le divin mystère de cette activité intellectuelle ! Mais, hélas ! ami lecteur, ce n’est ni toi ni moi qui étudierons sur nous-mêmes.