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vant pas dire le fond des choses, c’est-à-dire la puissance des tentations qu’il avait surmontées par prudence et par esprit de conduite, pourquoi, dites-vous, chère lectrice, ce jeune fourbe allait-il risquer d’éveiller la jalousie de Consuelo ? Vous me le demandez, Madame ? Dites-moi donc si vous n’avez pas pour habitude de conter à l’amant, je veux dire à l’époux de votre choix, tous les hommages dont vous avez été entourée par les autres, tous les aspirants que vous avez éconduits, tous les rivaux que vous avez sacrifiés, non-seulement avant l’hymen, mais après, mais tous les jours de bal, mais hier et ce matin encore ! Voyons, Madame, si vous êtes belle, comme je me complais à le croire, je gage ma tête que vous ne faites point autrement qu’Anzoleto, non pour vous faire valoir, non pour faire souffrir une âme jalouse, non pour enorgueillir un cœur trop orgueilleux déjà de vos préférences ; mais parce qu’il est doux d’avoir près de soi quelqu’un à qui l’on puisse raconter ces choses-là, tout en ayant l’air d’accomplir un devoir, et de se confesser en se vantant au confesseur. Seulement, Madame, vous ne vous confessez que de presque tout. Il n’y a qu’un tout petit rien, dont vous ne parlez jamais ; c’est le regard, c’est le sourire qui ont provoqué l’impertinente déclaration du présomptueux dont vous vous plaignez. Ce sourire, ce regard, ce rien, c’est précisément la gondole dont Anzoleto, heureux de repasser tout haut dans sa mémoire les enivrements de la soirée, oublia de parler à Consuelo. Heureusement pour la petite espagnole, elle ne savait point encore ce que c’est que la jalousie : ce noir et amer sentiment ne vient qu’aux âmes qui ont beaucoup souffert, et jusque-là Consuelo était aussi heureuse de son amour qu’elle était bonne. La seule circonstance qui fit en elle une impression profonde, ce fut l’oracle flatteur et sévère prononcé par son respectable maître, le professeur Por-