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et les chansons des travailleurs dans leurs ateliers, ne lui laisseront pas un instant de repos. Heureux encore quand l’improvisatore ne vient pas hurler ses sonnets et ses dithyrambes jusqu’à ce qu’il ait recueilli un sou de chaque fenêtre, ou quand Brighella n’établit pas sa baraque au milieu de la cour, patient à recommencer son dialogue avec l’avocato, il tedesco e il diavolo, jusqu’à ce qu’il ait épuisé en vain sa faconde gratis devant les enfants déguenillés, heureux spectateurs qui ne se font scrupule d’écouter et de regarder sans avoir un liard dans leur poche !

Mais, la nuit, quand tout est rentré dans le silence, et que la lune paisible éclaire et blanchit les dalles, cet assemblage de maisons de toutes les époques, accolées les unes aux autres sans symétrie et sans prétention, coupées par de fortes ombres, pleines de mystères dans leurs enfoncements, et de grâce instinctive dans leurs bizarreries, offre un désordre infiniment pittoresque. Tout devient beau sous les regards de la lune ; le moindre effet d’architecture s’agrandit et prend du caractère ; le moindre balcon festonné de vigne se donne des airs de roman espagnol, et vous remplit l’imagination de ces belles aventures dites de cape et d’épée. Le ciel limpide où se baignent, au-dessus de ce cadre sombre et anguleux, les pâles coupoles des édifices lointains, verse sur les moindres détails du tableau une couleur vague et harmonieuse qui porte à des rêveries sans fin.

C’est dans la corte Minelli, près l’église San-Fantin, qu’Anzoleto se trouva au moment où les horloges se renvoyaient l’une à l’autre le coup de deux heures après minuit. Un instinct secret avait conduit ses pas vers la demeure d’une personne dont le nom et l’image ne s’étaient pas présentés à lui depuis le coucher du soleil. À peine était-il rentré dans cette cour, qu’il entendit une