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consuelo.

Zustiniani au comte Barberigo ; eh bien, je parierai ma tête qu’elle n’est pas seule dans sa gondole.

— Et comment pouvez-vous avoir une pareille idée ? reprit Barberigo.

— Parce qu’elle m’a fait mille instances pour que je la reconduisisse à son palais.

— Et vous n’êtes pas plus jaloux que cela ?

— Il y a longtemps que je suis guéri de cette faiblesse. Je donnerais beaucoup pour que notre première cantatrice s’éprît sérieusement de quelqu’un qui lui fit préférer le séjour de Venise aux rêves de voyage dont elle me menace. Je puis très-bien me consoler de ses infidélités ; mais je ne pourrais remplacer ni sa voix, ni son talent, ni la fureur du public qu’elle captive à San-Samuel.

— Je comprends ; mais qui donc peut être ce soir l’amant heureux de cette folle princesse ? »

Le comte et son ami passèrent en revue tous ceux que la Corilla avait pu remarquer et encourager dans la soirée. Anzoleto fut absolument le seul dont ils ne s’avisèrent pas.

V.

Cependant un violent combat s’élevait dans l’âme de cet heureux amant que l’onde et la nuit emportaient dans leurs ombres tranquilles, éperdu et palpitant auprès de la plus célèbre beauté de Venise. D’une part, Anzoleto sentait fermenter en lui l’ardeur d’un désir que la joie de l’orgueil satisfait rendait plus puissant encore ; mais d’un autre côté, la crainte de déplaire bientôt, d’être raillé, éconduit et traîtreusement accusé auprès du comte, venait refroidir ses transports. Prudent et rusé comme un vrai vénitien, il n’avait pas, depuis six ans, aspiré au théâtre sans s’être bien renseigné sur le