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Quoique tout le monde s’efforçât de rire des bizarreries du professeur, elles laissèrent une impression pénible et comme un sentiment de doute et de tristesse durant quelques instants. Anzoleto fut le premier qui parut n’y plus songer, bien qu’elles lui eussent causé une émotion profonde de joie, d’orgueil, de colère et d’émulation dont toute sa vie devait être désormais la conséquence. Il parut uniquement occupé de plaire à la Corilla ; et il sut si bien le lui persuader, qu’elle s’éprit de lui très-sérieusement à cette première rencontre. Le comte Zustiniani n’était pas fort jaloux d’elle, et peut-être avait-il ses raisons pour ne pas la gêner beaucoup. De plus, il s’intéressait à la gloire et à l’éclat de son théâtre plus qu’à toute chose au monde ; non qu’il fût vilain à l’endroit des richesses, mais parce qu’il était vraiment fanatique de ce qu’on appelle les beaux-arts. C’est, selon moi, une expression qui convient à un certain sentiment vulgaire, tout italien et par conséquent passionné sans beaucoup de discernement. Le culte de l’art, expression plus moderne, et dont tout le monde ne se servait pas il y a cent ans, a un sens tout autre que le goût des beaux-arts. Le comte était en effet homme de goût comme on l’entendait alors, amateur, et rien de plus. Mais la satisfaction de ce goût était la plus grande affaire de sa vie. Il aimait à s’occuper du public et à l’occuper de lui ; à fréquenter les artistes, à régner sur la mode, à faire parler de son théâtre, de son luxe, de son amabilité, de sa magnificence. Il avait, en un mot, la passion dominante des grands seigneurs de province, l’ostentation. Posséder et diriger un théâtre était le meilleur moyen de contenter et de divertir toute la ville. Plus heureux encore s’il eût pu faire asseoir toute la République à sa table ! Quand des étrangers demandaient au professeur Porpora ce que c’était que le comte Zustiniani, il avait coutume de ré-