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consuelo.

Consuelo fut un peu émue de cette plaisanterie. Elle n’était pas bien sûre que le diable fût une chimère, et l’enfer une fable poétique. Elle eût été portée à prendre au sérieux l’indignation et la frayeur du chapelain, si celui-ci, scandalisé des rires d’Amélie, n’eût été, en ce moment, parfaitement ridicule. Interdite, troublée dans toutes les croyances de son enfance par cette lutte où elle se voyait lancée, entre la superstition des uns et l’incrédulité des autres, Consuelo eut, ce soir-là, beaucoup de peine à dire ses prières. Elle cherchait le sens de toutes ces formules de dévotion qu’elle avait acceptées jusque-là sans examen, et qui ne satisfaisaient plus son esprit alarmé. « À ce que j’ai pu voir, pensait-elle, il y a deux sortes de dévotions à Venise. Celle des moines, des nonnes, et du peuple, qui va trop loin peut-être ; car elle accepte, avec les mystères de la religion, toutes sortes de superstitions accessoires, l’Orco (le diable des lagunes), les sorcières de Malamocco, les chercheuses d’or, l’horoscope, et les vœux aux saints pour la réussite des desseins les moins pieux et parfois les moins honnêtes ; celle du haut clergé et du beau monde, qui n’est qu’un simulacre ; car ces gens-là vont à l’église comme au théâtre, pour entendre la musique et se montrer ; ils rient de tout, et n’examinent rien dans la religion, pensant que rien n’y est sérieux, que rien n’y oblige la conscience, et que tout est affaire de forme et d’usage. Anzoleto n’était pas religieux le moins du monde ; c’était un de mes chagrins, et j’avais raison d’être effrayée de son incrédulité. Mon maître Porpora… que croyait-il ? je l’ignore. Il ne s’expliquait point là-dessus, et cependant il m’a parlé de Dieu et des choses divines dans le moment le plus douloureux et le plus solennel de ma vie. Mais quoique ses paroles m’aient beaucoup frappée, elles n’ont laissé en moi que de la terreur et