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consuelo.

tirant une pièce de monnaie de sa poche, elle la posa sur une grosse pierre, après avoir élevé le bras pour la lui montrer et lui désigner l’endroit où elle la déposait. Mais le fou se mit à rire plus fort en se frottant les mains et en lui disant en mauvais allemand :

« Inutile, inutile ! Zdenko n’a besoin de rien, Zdenko est heureux, bien heureux ! Zdenko a de la consolation, consolation, consolation ! »

Puis, comme s’il se fût rappelé un mot qu’il cherchait depuis longtemps, il s’écria avec un éclat de joie, et intelligiblement, quoiqu’il prononçât fort mal :

« Consuelo, Consuelo, Consuelo de mi alma !  »

Consuelo s’arrêta stupéfaite, et lui adressant la parole en espagnol :

« Pourquoi m’appelles-tu ainsi ? lui cria-t-elle, qui t’a appris ce nom ? Comprends-tu la langue que je te parle ? »

À toutes ces questions, dont Consuelo attendit vainement la réponse, le fou ne fit que sautiller en se frottant les mains comme un homme enchanté de lui-même ; et d’aussi loin qu’elle put saisir les sons de sa voix, elle lui entendit répéter son nom sur des inflexions différentes, avec des rires et des exclamations de joie, comme lorsqu’un oiseau parleur s’essaie à articuler un mot qu’on lui a appris, et qu’il entrecoupe du gazouillement de son chant naturel.

En reprenant le chemin du château, Consuelo se perdait dans ses réflexions. « Qui donc, se disait-elle, a trahi le secret de mon incognito, au point que le premier sauvage que je rencontre dans ces solitudes me jette mon vrai nom à la tête ? Ce fou m’aurait-il vue quelque part ? Ces gens-là voyagent : peut-être a-t-il été en même temps que moi à Venise. » Elle chercha en vain à se rappeler la figure de tous les mendiants et de tous les vagabonds qu’elle avait l’habitude de voir sur les quais