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rences multipliées et les rires affectueux que lui adressait cet insensé. Elle crut devoir lui rendre ses saluts et ses signes de tête, pour ne pas l’irriter ; mais elle se hâta de se lever et de s’éloigner, toute pâle et toute tremblante.

Le fou ne la poursuivit point, et ne fit rien pour la rappeler ; il grimpa seulement sur la pierre d’épouvante pour la suivre des yeux, et continua à la saluer de son bonnet en sautillant et en agitant ses bras et ses jambes, tout en articulant à plusieurs reprises un mot bohême que Consuelo ne comprit pas. Quand elle se vit à une certaine distance de lui, elle reprit un peu de courage pour le regarder et l’écouter. Elle se reprochait déjà d’avoir eu horreur de la présence d’un de ces malheureux que, dans son cœur, elle plaignait et vengeait des mépris et de l’abandon des hommes un instant auparavant. « C’est un fou bienveillant, se dit-elle, c’est peut-être un fou par amour. Il n’a trouvé de refuge contre l’insensibilité et le dédain que sur cette roche maudite où nul autre n’oserait habiter, et où les démons et les spectres sont plus humains pour lui que ses semblables, puisqu’ils ne l’en chassent pas et ne troublent pas l’enjouement de son humeur. Pauvre homme ! qui ris et folâtres comme un petit enfant, avec une barbe grisonnante et un dos voûté ! Dieu, sans doute, te protège et te bénit dans ton malheur, puisqu’il ne t’envoie que des pensées riantes, et qu’il ne t’a point rendu misanthrope et furieux comme tu aurais droit de l’être ! »

Le fou, voyant qu’elle ralentissait sa marche, et paraissant comprendre son regard bienveillant, se mit à lui parler bohême avec une excessive volubilité ; et sa voix avait une douceur extrême, un charme pénétrant qui contrastait avec sa laideur. Consuelo, ne le comprenant pas, songea qu’elle devait lui donner l’aumône ; et,