Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
307
consuelo.

occupations dominantes, il était persuadé qu’une pernicieuse influence y menaçait ses chiens, et les y atteignait de maladies inconnues et incurables. Il en avait perdu plusieurs pour les avoir laissés se désaltérer dans les filets d’eau claire qui s’échappaient des veines de la colline, et qui provenaient peut-être de la citerne condamnée, antique tombeau des hussites. Aussi rappelait-il de toute l’autorité de son sifflet sa griffonne Pankin ou son double-nez Saphyr, lorsqu’ils s’oubliaient aux alentours du Schreckenstein.

Consuelo, rougissant des accès de pusillanimité qu’elle avait résolu de combattre, s’imposa de rester un instant sur la pierre fatale, et de ne s’en éloigner qu’avec la lenteur qui convient à un esprit calme, en ces sortes d’épreuves. Mais, au moment où elle détournait ses regards du chêne calciné qu’elle apercevait à deux cents pieds au-dessous d’elle, pour les reporter sur les objets environnants, elle vit qu’elle n’était pas seule sur la pierre d’épouvante, et qu’une figure incompréhensible venait de s’y asseoir à ses côtés, sans annoncer son approche par le moindre bruit.

C’était une grosse tête ronde et béante, remuant sur un corps contrefait, grêle et crochu comme une sauterelle, couvert d’un costume indéfinissable qui n’était d’aucun temps et d’aucun pays, et dont le délabrement touchait de près à la malpropreté. Cependant cette figure n’avait d’effrayant que son étrangeté et l’imprévu de son apparition, car elle n’avait rien d’hostile. Un sourire doux et caressant courait sur sa large bouche, et une expression enfantine adoucissait l’égarement d’esprit que trahissaient le regard vague et les gestes précipités. Consuelo, en se voyant seule avec un fou, dans un endroit où personne assurément ne fût venu lui porter secours, eut véritablement peur, malgré les révé-