Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
consuelo.

— Cynabre n’est point ici, répondit Amélie. Là où est Albert, Cynabre y est toujours avec lui. Quelqu’un a soupiré ici étrangement. Si j’osais aller jusqu’à la fenêtre, je verrais si quelqu’un a écouté du jardin ; mais il irait de ma vie que je n’en aurais pas la force.

— Pour une personne aussi dégagée des préjugés, lui dit tout bas Consuelo en s’efforçant de sourire, pour une petite philosophe française, vous n’êtes pas brave, ma chère baronne ; moi, je vais essayer de l’être davantage.

— N’y allez pas, ma chère, répondit tout haut Amélie, et ne faites pas la vaillante ; car vous êtes pâle comme la mort, et vous allez vous trouver mal.

— Quels enfantillages amusent votre chagrin, ma chère Amélie ? dit le comte Christian en se dirigeant vers la fenêtre d’un pas grave et ferme. »

Il regarda dehors, ne vit personne, et il ferma la fenêtre avec calme, en disant :

« Il semble que les maux réels ne soient pas assez cuisants pour l’ardente imagination des femmes ; il faut toujours qu’elles y ajoutent les créations de leur cerveau trop ingénieux à souffrir. Ce soupir n’a certainement rien de mystérieux. Un de nous, attendri par la belle voix et l’immense talent de la signora, aura exhalé, à son propre insu, cette sorte d’exclamation du fond de son âme. C’est peut-être moi-même, et pourtant je n’en ai pas eu conscience. Ah ! Porporina, si vous ne réussissez point à guérir Albert, du moins vous saurez verser un baume céleste sur des blessures aussi profondes que les siennes. »

La parole de ce saint vieillard, toujours sage et calme au milieu des adversités domestiques qui l’accablaient, était elle-même un baume céleste, et Consuelo en ressentit l’effet. Elle fut tentée de se mettre à genoux devant