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surveillant, et qu’il les avait fait durer le plus longtemps possible en trompant la famille sur le résultat de ses bons offices. Occupé de ses affaires et de ses plaisirs, il avait abandonné Albert à ses penchants extrêmes. Peut-être l’avait-il vu souvent malade et souvent exalté. Il avait sans doute laissé un libre cours à ses fantaisies. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait eu l’habileté de les cacher à tous ceux qui eussent pu nous en rendre compte ; car dans toutes les lettres que reçut mon oncle au sujet de son fils, il n’y eut jamais que des éloges de son extérieur et des félicitations sur les avantages de sa personne. Albert n’a laissé nulle part la réputation d’un malade ou d’un insensé. Quoi qu’il en soit, sa vie intérieure durant ces huit ans d’absence est restée pour nous un secret impénétrable. L’abbé, voyant, au bout de trois jours, qu’il ne reparaissait pas, et craignant que ses propres affaires ne fussent gâtées par cet incident, se mit en campagne, soi-disant pour le chercher à Prague, où l’envie de chercher quelque livre rare pouvait, selon lui, l’avoir poussé.

« — Il est, disait-il, comme les savants qui s’abîment dans leurs recherches, et qui oublient le monde entier pour satisfaire leur innocente passion. »

« Là-dessus l’abbé partit, et ne revint pas.

« Au bout de sept jours d’angoisses mortelles, et comme nous commencions à désespérer, ma tante, passant vers le soir devant la chambre d’Albert, vit la porte ouverte, et Albert assis dans son fauteuil, caressant son chien qui l’avait suivi dans son mystérieux voyage. Ses vêtements n’étaient ni salis ni déchirés ; seulement la dorure en était noircie, comme s’il fût sorti d’un lieu humide, ou comme s’il eût passé les nuits à la belle étoile. Sa chaussure n’annonçait pas qu’il eût beaucoup marché ; mais sa barbe et ses cheveux témoignaient d’un