Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
consuelo.

et les honneurs dont ils jouissent, vous pensez qu’elle revit en moi ? Eh bien, Albert, je vous aime tant, que pour vous je ferais plus encore : je sacrifierais ma vie, si je pouvais, à ce prix, calmer votre esprit égaré. »

« Albert la regarda quelques instants avec des yeux à la fois sévères et attendris.

« — Non, non, dit-il enfin en s’approchant d’elle, et en s’agenouillant à ses pieds, vous êtes un ange, et vous avez communié jadis dans la coupe de bois des hussites. Mais la Saxonne est ici, cependant, et sa voix a frappé mon oreille aujourd’hui à plusieurs reprises.

« — Prenez que c’est moi, Albert, lui dis-je en m’efforçant de l’égayer, et ne m’en veuillez pas trop de ne pas vous avoir livré aux bourreaux en l’année 1619.

« — Vous, ma mère, dit-il en me regardant avec des yeux effrayants, ne dites pas cela ; car je ne puis vous pardonner. Dieu m’a fait renaître dans le sein d’une femme plus forte ; il m’a retrempé dans le sang de Ziska, dans ma propre substance, qui s’était égarée je ne sais comment. Amélie, ne me regardez pas, ne me parlez pas surtout ! C’est votre voix, Ulrique, qui me fait aujourd’hui tout le mal que je souffre. »

« En disant cela, Albert sortit précipitamment, et nous restâmes tous consternés de la triste découverte qu’il venait enfin de nous faire faire sur le dérangement de son esprit.

« Il était alors deux heures après midi ; nous avions dîné paisiblement, Albert n’avait bu que de l’eau. Rien ne pouvait nous donner l’espoir que cette démence fût l’effet de l’ivresse. Le chapelain et ma tante se levèrent aussitôt pour le suivre et pour le soigner, le jugeant fort malade. Mais, chose inconcevable ! Albert avait déjà disparu comme par enchantement ; on ne le trouva ni dans sa chambre, ni dans celle de sa mère, où il avait coutume