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consuelo.

« — Qui donc a ainsi aidé ou égaré votre mémoire, Albert ? demanda le comte Christian d’un ton sévère. Quel serviteur infidèle ou imprudent s’est donc avisé de troubler votre jeune esprit par le récit, sans doute exagéré, de ces événements domestiques ?

« — Aucun, mon père ; je vous le jure sur ma religion et sur ma conscience.

« — L’ennemi du genre humain est intervenu dans tout ceci, dit le chapelain consterné.

« — Il serait plus vraisemblable et plus chrétien de penser, observa l’abbé, que le comte Albert est doué d’une mémoire extraordinaire, et que des événements dont le spectacle ne frappe point ordinairement l’âge tendre sont restés gravés dans son esprit. Ce que j’ai vu de sa rare intelligence me fait aisément croire que sa raison a dû avoir un développement fort précoce ; et quant à sa faculté de garder le souvenir des choses, j’ai reconnu qu’elle était prodigieuse en effet.

« — Elle ne vous semble prodigieuse que parce que vous en êtes tout à fait dépourvu, répondit Albert sèchement. Par exemple, vous ne vous rappelez pas ce que vous avez fait en l’année 1619, après que Withold Podiebrad le protestant, le vaillant, le fidèle (votre grand-père, ma chère tante), le dernier qui porta notre nom, eut rougi de son sang la pierre d’épouvante ? Vous avez oublié votre conduite en cette circonstance, je le parierais, monsieur l’abbé ?

« — Je l’ai oubliée entièrement, je l’avoue, répondit l’abbé avec un sourire railleur qui n’était pas de trop bon goût dans un moment où il devenait évident pour nous tous qu’Albert divaguait complètement.

« — Eh bien ! je vais vous la rappeler, reprit Albert sans se déconcerter. Vous allâtes bien vite conseiller à ceux des soldats impériaux qui avaient fait le coup de se