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qui semblaient être le caractère décidé de mon cousin, mon oncle et ma tante se dirent que le dernier rejeton de leur race n’était destiné à lui rendre aucun éclat par sa conduite personnelle. Il ne montrait d’inclination pour aucun rôle brillant dans le monde, ni pour les armes, ni pour la diplomatie, ni pour les charges civiles. À tout ce qu’on lui proposait, il répondait d’un air de résignation qu’il obéirait aux volontés de ses parents, mais qu’il n’avait pour lui-même aucun besoin de luxe ou de gloire. Après tout, ce naturel indolent n’était que la répétition exagérée de celui de son père, cet homme calme dont la patience est voisine de l’apathie, et chez qui la modestie est une sorte d’abnégation. Ce qui donne à mon oncle une physionomie que son fils n’a pas, c’est un sentiment énergique, quoique dépourvu d’emphase et d’orgueil, du devoir social. Albert semblait désormais comprendre les devoirs de la famille ; mais les devoirs publics, tels que nous les concevons, ne paraissaient pas l’occuper plus qu’aux jours de son enfance. Son père et le mien avaient suivi la carrière des armes sous Montecuculli contre Turenne. Ils avaient porté dans la guerre une sorte de sentiment religieux inspiré par la majesté impériale. C’était le devoir de leur temps d’obéir et de croire aveuglément à des maîtres. Ce temps-ci, plus éclairé, dépouille les souverains de l’auréole, et la jeunesse se permet de ne pas croire à la couronne plus qu’à la tiare. Lorsque mon oncle essayait de ranimer dans son fils l’antique ardeur chevaleresque, il voyait bien que ses discours n’avaient aucun sens pour ce raisonneur dédaigneux.

« Puisqu’il en est ainsi, se dirent mon oncle et ma tante, ne le contrarions pas. Ne compromettons pas cette guérison assez triste qui nous a rendu un homme éteint à la place d’un homme exaspéré. Laissons-le vivre paisible-