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de sa première femme. Remarié à l’âge de quarante ans, il eut de la seconde cinq fils qui moururent tous, ainsi que leur mère, de la même maladie née avec eux, une douleur continuelle et une sorte de fièvre dans le cerveau. Cette seconde femme était de pur sang bohême et avait, dit-on, une grande beauté et beaucoup d’esprit. Je ne l’ai pas connue. Vous verrez son portrait, en corset de pierreries et en manteau d’écarlate, dans le grand salon. Albert lui ressemble prodigieusement. C’est le sixième et le dernier de ses enfants, le seul qui ait atteint l’âge de trente ans ; et ce n’est pas sans peine : car, sans être malade en apparence, il a passé par de rudes épreuves, et d’étranges symptômes de maladie du cerveau donnent encore à craindre pour ses jours. Entre nous, je ne crois pas qu’il dépasse de beaucoup ce terme fatal que sa mère n’a pu franchir. Quoiqu’il fût né d’un père déjà avancé en âge, Albert est doué pourtant d’une forte constitution ; mais, comme il le dit lui-même, le mal est dans son âme, et ce mal a été toujours en augmentant. Dès sa première enfance, il eut l’esprit frappé d’idées bizarres et superstitieuses. À l’âge de quatre ans, il prétendait voir souvent sa mère auprès de son berceau, bien qu’elle fût morte et qu’il l’eût vu ensevelir. La nuit il s’éveillait pour lui répondre ; et ma tante Wenceslawa en fut parfois si effrayée, qu’elle faisait toujours coucher plusieurs femmes dans sa chambre auprès de l’enfant, tandis que le chapelain usait je ne sais combien d’eau bénite pour exorciser le fantôme, et disait des messes par douzaines pour l’obliger à se tenir tranquille. Mais rien n’y fit ; car l’enfant n’ayant plus parlé de ces apparitions pendant bien longtemps, il avoua pourtant un jour en confidence à sa nourrice qu’il voyait toujours sa petite mère, mais qu’il ne voulait plus le raconter, parce que monsieur le chapelain disait en-