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par la passion, mais l’acteur aux prises avec le succès.

— Et comment donc font les autres ? s’écria Anzoleto en frappant du pied. Est-ce que je ne les ai pas entendus, tous ceux qu’on a applaudis à Venise depuis dix ans ? Est-ce que le vieux Stefanini ne criait pas quand la voix lui manquait ? Et cependant on l’applaudissait avec rage.

— Il est vrai, et je n’ai pas compris que le public pût s’y tromper. Sans doute on se souvenait du temps où il y avait eu en lui plus de puissance, et on ne voulait pas lui faire sentir le malheur de son âge.

— Et la Corilla, voyons, cette idole que tu renverses, est-ce qu’elle ne forçait pas les situations ? Est-ce-qu’elle ne faisait pas des efforts pénibles à voir et à entendre ? Est-ce qu’elle était passionnée tout de bon, quand on la portait aux nues ?

— C’est parce que j’ai trouvé ses moyens factices, ses effets détestables, son jeu comme son chant dépourvus de goût et de grandeur, que je me suis présentée si tranquillement sur la scène, persuadée comme toi que le public ne s’y connaissait pas beaucoup.

— Ah ! dit Anzoleto avec un profond soupir, tu mets le doigt sur ma plaie, pauvre Consuelo !

— Comment cela, mon bien-aimé ?

— Comment cela ? tu me le demandes ? Nous nous étions trompés, Consuelo. Le public s’y connaît. Son cœur lui apprend ce que son ignorance lui voile. C’est un grand enfant qui a besoin d’amusement et d’émotion. Il se contente de ce qu’on lui donne ; mais qu’on lui montre quelque chose de mieux, et le voilà qui compare et qui comprend. La Corilla pouvait encore le charmer la semaine dernière, bien qu’elle chantât faux et manquât de respiration. Tu parais, et la Corilla est perdue ; elle est effacée, enterrée. Qu’elle reparaisse, on la sifflera. Si j’avais débuté auprès d’elle, j’aurais eu un succès com-