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loge, et qui fut forcée d’en sortir avec effraction. Dans le tumulte qui suit dans l’intérieur du théâtre une représentation aussi brillante, on ne s’aperçut guère de sa retraite. Mais le lendemain cette porte brisée vint coïncider avec le coup de griffe reçu par Anzoleto, et c’est ainsi qu’on fut sur la voie de l’intrigue qu’il avait jusque-là cachée si soigneusement.

À peine était-il assis au somptueux banquet que donnait le comte en l’honneur de Consuelo, et tandis que tous les abbés de la littérature vénitienne débitaient à la triomphatrice les sonnets et madrigaux improvisés de la veille, un valet glissa sous l’assiette d’Anzoleto un petit billet de la Corilla, qu’il lut à la dérobée, et qui était ainsi conçu :

« Si tu ne viens me trouver à l’instant même, je vais te chercher et faire un éclat, fusses-tu au bout du monde, fusses-tu dans les bras de ta Consuelo, trois fois maudite. »

Anzoleto feignit d’être pris d’une quinte de toux, et sortit pour écrire cette réponse au crayon sur un bout de papier réglé arraché dans l’antichambre à un cahier de musique :

« Viens si tu veux ; mon couteau est toujours prêt, et avec lui mon mépris et ma haine. »

Le despote savait bien qu’avec une nature comme celle à qui il avait affaire, la peur était le seul frein, la menace le seul expédient du moment. Mais, malgré lui, il fut sombre et distrait durant la fête ; et lorsqu’on se leva de table, il s’esquiva pour courir chez la Corilla.

Il trouva cette malheureuse fille dans un état digne de pitié. Aux convulsions avaient succédé des torrents de larmes ; elle était assise à sa fenêtre, échevelée, les yeux meurtris de sanglots ; et sa robe, qu’elle avait déchirée de rage, tombait en lambeaux sur sa poitrine hale-