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avaient désarmé tout le monde : la Rosalba, qu’elle remplaçait, était fort maigre.

Au dernier entr’acte, Anzoleto, qui surveillait Corilla à la dérobée et qui s’était aperçu de son agitation croissante, jugea prudent d’aller la trouver dans sa loge pour prévenir quelque explosion. Aussitôt qu’elle l’aperçut, elle se jeta sur lui comme une tigresse, et lui appliqua deux ou trois vigoureux soufflets, dont le dernier se termina d’une manière assez crochue pour faire couler quelques gouttes de sang et laisser une marque que le rouge et le blanc ne purent ensuite couvrir. Le ténor outragé mit ordre à ces emportements par un grand coup de poing dans la poitrine, qui fit tomber la cantatrice à demi pâmée dans les bras de sa sœur Rosalba.

« Infâme, traître, buggiardo ! murmura-t-elle d’une voix étouffée ; ta Consuelo et toi ne périrez que de ma main.

— Si tu as le malheur de faire un pas, un geste, une inconvenance quelconque ce soir, je te poignarde à la face de Venise, répondit Anzoleto pâle et les dents serrées, en faisant briller devant ses yeux son couteau fidèle qu’il savait lancer avec toute la dextérité d’un homme des lagunes.

— Il le ferait comme il le dit, murmura la Rosalba épouvantée. Tais-toi ; allons-nous-en, nous sommes ici en danger de mort.

— Oui, vous y êtes, ne l’oubliez pas », répondit Anzoleto ; et se retirant, il poussa la porte de la loge avec violence en les y enfermant à double tour.

Bien que cette scène tragi-comique se fût passée à la manière vénitienne dans un mezzo-voce mystérieux et rapide, en voyant le débutant traverser rapidement les coulisses pour regagner sa loge la joue cachée dans son mouchoir, on se douta de quelque mignonne bisbille ; et