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consuelo.

« Au fait, je suis un fou, un sot, pensa Anzoleto. Comment ai-je pu penser un instant que le comte triompherait d’une âme si pure et d’un amour si complet ? Est-ce qu’il n’est pas assez expérimenté pour voir du premier coup d’œil que Consuelo n’est pas son fait ; et aurait-il été assez généreux ce soir pour me faire monter dans la gondole à sa place, s’il n’eût connu pertinemment qu’il y jouerait auprès d’elle le rôle d’un fat ridicule ? Non, non ; mon sort est assuré, ma position inexpugnable. Que Consuelo lui plaise, qu’il l’aime, qu’il la courtise, tout cela ne servira qu’à avancer ma fortune ; car elle saura bien obtenir de lui tout ce qu’elle voudra sans s’exposer. Consuelo en saura vite plus que moi sur ce chapitre. Elle est forte, elle est prudente. Les prétentions du cher comte tourneront à mon profit et à ma gloire. »

Et, abjurant complètement tous ses doutes, il se jeta aux pieds de son amie, et se livra à l’enthousiasme passionné qu’il éprouvait pour la première fois, et que depuis quelques heures la jalousie comprimait en lui.

« Ô ma belle ! ô ma sainte ! ô ma diablesse ! ô ma reine ! s’écria-t-il, pardonne-moi d’avoir pensé à moi-même au lieu de me prosterner devant toi pour t’adorer, ainsi que j’aurais dû le faire en me retrouvant seul avec toi dans cette chambre ! J’en suis sorti ce matin en te querellant. Oui, oui, je devrais n’y être rentré qu’en me traînant sur mes genoux ! Comment peux-tu aimer encore et sourire à une brute telle que moi ? Casse-moi ton éventail sur la figure, Consuelo. Mets ton joli pied sur ma tête. Tu es plus grande que moi de cent coudées, et je suis ton esclave pour jamais, à partir d’aujourd’hui.

— Je ne mérite pas ces belles paroles, lui répondit-elle en s’abandonnant à ses étreintes ; et quant à tes distractions, je les excuse, car je les comprends. Je vois bien que la peur d’être séparé de moi, et de voir diviser une