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consuelo.

toute pensée d’orgueil ? N’ai-je pas chanté le mieux qu’il m’a été possible ? N’ai-je pas souffert de l’humiliation de la Clorinda ? N’ai-je pas obtenu du comte, sans qu’il s’en doutât et sans qu’il puisse se dédire, la promesse qu’elle serait engagée comme seconda donna avec nous ? Qu’ai-je donc fait de mal, encore une fois, pour souffrir les douleurs que tu m’annonces, et que je ressens déjà, puisque, toi, tu les éprouves ?

— En vérité, Consuelo, tu as eu la pensée de faire engager la Clorinda ?

— J’y suis résolue, si le comte est un homme de parole. Cette pauvre fille a toujours rêvé le théâtre, elle n’a pas d’autre existence devant elle.

— Et tu crois que le comte renverra la Rosalba, qui sait quelque chose, pour la Clorinda, qui ne sait rien ?

— La Rosalba suivra la fortune de sa sœur Corilla, et quant à la Clorinda, nous lui donnerons des leçons, nous lui apprendrons à tirer le meilleur parti de sa voix, qui est jolie. Le public sera indulgent pour une aussi belle fille. D’ailleurs, quand même je n’obtiendrais son admission que comme troisième femme, ce serait toujours une admission, un début dans la carrière, un commencement d’existence.

— Tu es une sainte, Consuelo. Tu ne vois pas que cette pécore, en acceptant tes bienfaits, et quoiqu’elle dût s’estimer trop heureuse d’être troisième ou quatrième femme, ne te pardonnera jamais d’être la première ?

— Qu’importe son ingratitude ? Va, j’en sais long déjà sur l’ingratitude et les ingrats !

— Toi ? dit Anzoleto en éclatant de rire et en l’embrassant avec son ancienne effusion de frère.

— Oui, répondit-elle, enchantée de l’avoir distrait de ses soucis ; j’ai eu jusqu’à présent toujours devant les yeux, et j’aurai toujours gravé dans l’âme, l’image de