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« Ceci est un trait caractéristique qui commence bien la série de mes griefs contre le sexe masculin. Dans tout l’État de Modène, des frontières de la Toscane à celles du Piémont, les femmes du peuple et même les petites bourgeoises ne connaissent ni bas ni souliers. Et pourtant, le pays est âpre, les sentiers pierreux, et les hautes montagnes attirent des pluies torrentielles. Si jamais chaussure fût nécessaire à de pauvres petits pieds féminins, c’est là certainement. Mais on nous dit, dès l’enfance, que c’est beaucoup plus sain de n’en pas avoir ; que l’humidité sèche plus vite sur la peau que sur le cuir ; que le pied est beaucoup plus sûr dans les endroits dangereux quand il n’est pas emprisonné ; enfin, que c’est une économie : toutes raisons excellentes, mais qui se trouvent retournées en sens contraire quand il s’agit des mâles. Pour ceux-ci, l’eau est un élément qui enrhume, les pierres, des objets qui blessent, et les forts souliers ferrés, des préservatifs contre la glissade et les chutes mortelles.

— Bah ! dit en riant la duchesse, je ne sais pas de quoi vous vous plaignez ! Vous avez, quand même, un pied charmant, et les rhumes ne vous ont pas gâté la voix.

— C’est qu’il y a des grâces d’état, reprit la cantatrice ; car les pieds mouillés ne sont pas l’unique privilège des Modenaises. Il faut encore qu’elles trouvent moyen de vivre avec la tête exposée aux pluies, aux brouillards ou aux soleils enragés de la montagne ; par la même raison de santé ou d’économie qui les prive de