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si vous ne nous ouvrez pas les chemins bleus où conduit l’hippogriffe.

— Vous me feriez avaler les vins les plus fantastiques, répondit l’artiste en riant, que je ne trouverais aucun dragon pour me carrosser dans les espaces. J’aurais pourtant voulu être en verve, parce que, quand j’ai beaucoup ri follement, je deviens ensuite tout d’un coup très-sombre, et que dans ces moments-là j’ai de l’inspiration ; je chante bien, ou je dis des choses très-profondes. J’aurais voulu vous faire pleurer, ce soir, avec le récitatif de donna Anna ; mais il n’y aura pas moyen, voyez-vous ! la présence de la Costanza me paralyse. Je me sens recueillie, attendrie, et, dans cette disposition-là, on ne sent aucun besoin de poser.

— De poser ? dit la duchesse étonnée. Ah çà ! vous moquez-vous donc des autres, quand vous êtes éloquente ?

— Je ne me moque pas, puisque je me prends au sérieux ! seulement, je me pose, je le sens quand j’ai fini. Je donne mon âme en spectacle, je joue un rôle, je sens que je le joue bien, et l’intérêt que j’inspire réagit sur moi au point que je m’intéresse moi-même. Mais, hélas ! c’est une ivresse qui passe vite : je me retrouve vis-à-vis de moi, toute désenchantée du véritable personnage que je suis, et profondément humiliée de n’être pas celui que je voudrais être.

— Convenez, dit la duchesse à mademoiselle Verrier, qu’elle a une sincérité ravissante, et qu’avec elle, on ne peut se scandaliser de rien.