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ganes. Je me trouvais bien, sage, reposée, lucide.

Calmée et vaincue par la générosité de Jennie, je reconnus tout à coup que je n’avais aucun désir vrai d’en profiter. Je n’étais plus une petite fille complètement ignorante des conséquences de l’amour et des fins de l’hyménée. J’avais trop lu l’histoire et trop étudié la nature pour ne pas me rendre compte des mystères que l’imagination couvre souvent de voiles si trompeurs. En songeant à ce que pourrait être mon union avec un homme aussi raisonneur et aussi réfléchi que moi-même, — et Frumence était cet homme-là, — je me pris à sourire. Je reconnus que le trouble divin ne pourrait jamais s’emparer de deux êtres qui avaient tant analysé la vie, le cœur humain, la philosophie et la morale ensemble. En supposant que Frumence pût oublier Jennie, ou qu’il ne l’eût jamais aimée, il était encore impossible qu’il eût pour moi le sentiment spontané que j’éprouvais le besoin de connaître et d’inspirer. Il me connaissait trop, lui, il m’avait trop enseignée, raillée, redressée, critiquée et reprise comme son écolière, pour faire de moi une idole à un moment donné. Et moi, je me l’avouais désormais bien franchement à moi-même, je voulais être l’idole de quelqu’un, ne fût-ce qu’un jour en ma vie. J’en avais le droit, puisque je me sentais capable d’éprouver l’adoration dont